Florence Nightingale (1820-1910)
Florence Nightingale voit le jour un 12 mai 1820 à Florence (Italie), ville qui lui a donné son nom. Son père, William Edward Nightingale, a fait fortune dans l’exploitation de mines de plomb et par l’héritage qu’il a reçu de son oncle, ce qui fait de Florence une femme de la haute société victorienne. Monsieur Nightingale l’instruit tôt et elle sait très vite manier le latin, le grec, l’italien et
l’allemand en plus du français qu’elle connaît depuis ses 9 ans. Celui-ci lui apprend également l’histoire et la philosophie. Bref, Florence est une jeune fille précoce et à l’éducation complète : faute d’avoir accès à l’école, elle se cultive dans la bibliothèque paternelle, lisant C. Dickens ou V. Hugo. Elle peut passer des heures enfermée à travailler assidûment les sciences, les mathématiques et les statistiques, matières dans lesquelles elle excelle tout particulièrement. Elle croise de temps à autres d’éminents intellectuels de l’époque tels Darwin ou Anne Isabella Milbanke (mère d’Ada Lovelace). Mais le destin que ses parents ont tracé pour elle ne lui convient pas : en tant que femme de l’époque victorienne, elle doit rester au foyer à s’occuper des comptes et des enfants ou bien à lire et à broder. Pourtant, tout change l’année de ses 16 ans ; telle Jeanne d’Arc en une autre époque, elle se sent investie d’une mission :
“Dieu m’a parlé et m’a appelée à son service”
Par la suite, elle ne parlera jamais à personne de ce qui lui est arrivé, de peur d’être prise pour une folle ; seul son journal est témoin de la mission dont elle se sent investie.
Désormais, Florence est déterminée : elle a pour devoir d’aider son prochain et ne cédera pas devant les obstacles. Cependant, la famille part pour un long voyage d’un an et demi en Italie et en France, enterrant soudain tous les espoirs de la jeune fille.
Peu après leur retour, Florence est présentée à la cour de la reine Victoria. Le temps qui a passé n’a pas effacé le souvenir de la jeune femme et grâce à l’appui de sa tante, elle obtient de ses parents d’être éduquée par un précepteur, bien que ceux-ci auraient vivement préféré la voir mariée.
Elle rencontre en 1944 le médecin Samuel Gridley Howe, fondateur des premières écoles pour aveugles aux Etats-
Unis. Cette rencontre marque un tournant décisif dans la vie de la jeune femme : confortée par le médecin qui lui conseille de suivre sa vocation, elle fait audacieusement part à ses parents de sa volonté de devenir infirmière l’année suivante. Elle reçoit en réponse un refus catégorique. Des amis de ses parents, les Bracebridge, reçoivent la mission de l’emmener en voyage à Rome dans l’objectif qu’elle oublie cette idée farfelue. Ce voyage ne fait au contraire que raviver la flamme de Florence car les Bracebridge, lui laissent une grande liberté ce qui lui permet de visiter de nombreux hôpitaux italiens. Sur le trajet du retour d’un deuxième voyage, cette fois-ci en Grèce et en Egypte, le couple s’arrête deux semaines à Kaiserswerth (Prusse) où est établi un hôpital que Florence rêvait de visiter après avoir lu un rapport à propos. Cette visite la laisse impressionnée par le dévouement des diaconesses et la qualité des soins. De plus, elle parvient à rencontrer Theodor Fliedner, le fondateur de l’hôpital, avec qui elle peut tenir une discussion bien plus complète au sujet de la profession qui la passionne.
A son retour en 1851, elle supplie ses parents et obtient l’autorisation de suivre une formation de 3 mois à Kaiserswerth. Cette courte période d’apprentissage la convainc d’autant plus qu’elle peut mener à bien ses projets : elle se donne beaucoup de mal durant sa formation, travaillant dur et relevant des notes sur la préparation des médicaments, la manière de disposer les corps des défunts, etc… La même année, elle rédige son premier livre, “The Institution of Kaiserswerth on the Rhine, for the Practical Training of Deaconesses” (L’institution de Kaiserswerth, sur le Rhin, pour la formation pratique des diaconesses).
Ses parents finissent par céder face à tant de détermination de la part de leur fille. Florence part alors faire des stages hospitaliers à Paris pendant l’année 1852, puis elle accepte le poste de surintendante à l’Institute for the Care of Sick Gentlewomen de Londres l’année suivante avec pour seule rémunération la pension que lui verse son père et lui permet de vivre confortablement. Petit hôpital ne comptant que 27 lits à l’origine, Florence, en y imposant des conduites qui lui paraissent absolument nécessaires, fait grandir la renommée de l’institution en même temps que la sienne : en 1854, elle est sur le point d’obtenir un poste d’infirmière-chef au King’s College de Londres.
Cependant, la guerre de Crimée éclate en 1853. Pour la première fois de l’histoire, la société britannique est informée de ce qui se déroule sur le front
de guerre. Grâce, notamment, à l’éminent travail du correspondant de guerre pour le Times, William Howard Russel, le peuple a des nouvelles en seulement 10 jours des événements militaires. Il découvre de cette manière la négligence du trône vis-à-vis des soldats du royaume et s’insurge. La reine Victoria est directement touchée par ces attaques : aussi bien en raison d’une urgence politique que militaire, le secrétaire d’Etat à la Guerre Sydney Herbert envoie Florence Nightingale accompagnée de 38 infirmières jusqu’à la caserne de Scutari (Turquie) début 1854.
La société voit très mal cette intrusion des femmes dans un métier jusqu’alors réservé aux hommes : elle considère que l’horreur qui s’y déroule ne devrait pas être observée par des dames. Arrivée à l’hôpital de Scutari, Florence est choquée par la dégradation de l’endroit : tout est négligé, les soldats sont empilés par dizaines, couchés à même le sol sur des paillasses rudimentaires. En fait d’hôpital, il s’agit d’avantage d’un mouroir.
Florence prend la caserne en main et y impose rigueur et discipline à ses infirmières. Elle insiste sur les principes d’hygiène rudimentaires : obligation du nettoyage des mains, nettoyage à grandes eaux des sols de l’hôpital et lavage des draps à l’eau chaude. Florence et son équipe doivent faire face à une situation inédite, en manque de tout, de médicaments, de matériel et de nourriture. Malgré les efforts qu’elle se donne, la caserne ne voit pas chuter le taux de mortalité, bien au contraire : celui-ci est près de 10 fois plus élevé que dans les autres casernes militaires.
Florence se donne pour mission d’élever le savoir de ses infirmières qui pour la majorité n’ont aucune compétence en médecine. Elle s’efforce d’écrire aux familles des mourants et de maintenir les correspondances avec celles des blessés : elle impose ainsi des temps de lecture réguliers pour maintenir le moral des soldats. Elle rédige également des missives furieuses au gouvernement britannique qui tergiverse. Heureusement, le Times met en place une souscription nationale pour les blessés de Crimée et les denrées ainsi que le matériel affluent en quantité depuis le Royaume-Uni : il était temps.
En mars 1855, le gouvernement britannique est finalement contraint d’envoyer des équipes pour réparer le système
d’aération et déboucher les égouts de la caserne. Peu de temps après, le taux de mortalité de la caserne chute drastiquement grâce aux méthodes nouvelles de Nightingale.
La guerre prend fin le 30 mai 1856 avec la signature du Traité de Paris. Désormais célèbre et nouvelle icône de son temps en Grande Bretagne, Florence y acquiert un petit nom : “The Lady with a lamp”. Les infirmières rentrent au pays avec en tête les nouveaux principes de la médecine moderne inculqués par Florence Nightingale : elles vont les transmettre et changer les hôpitaux dans les années à venir. Femme introvertie, Florence supporte mal le succès qu’elle connaît en Angleterre. Elle rentre le plus discrètement possible en prenant le nom de sa mère.
Son souhait le plus cher est de travailler à sauver des vies et la chance lui sourit : la reine elle-même l’invite en septembre 1856 dans son château de Balmoral (Écosse). Toutes deux se lient vite d’amitié, affinité qui permet à Florence d’obtenir du poids pour la mise en œuvre de ses projets : sur les conseils de Sydney Herbert, elle propose l’instauration d’une Commission royale pour la santé dans l’Armée. Plusieurs politiques y sont hostiles dont Lord Panmure, nouveau secrétaire d’État à la Guerre, qui est pourtant chargé de demander à Florence Nightingale l’établissement d’un rapport préliminaire grâce aux données qu’elles a collectées durant la guerre de Crimée. En tant que femme, Florence n’est effectivement pas autorisée à siéger à la Commission, mais les hommes d’Etat ont bien compris que ses connaissances sont indispensables. Récemment installée à l’hôtel Burlington (Londres), c’est là qu’elle commence la rédaction de son rapport en 1857, un ouvrage de 853 pages qui lui prend près de 2 ans de travail. Elle recoupe ses données, celles de médecins et des cantinières, relève le nombre de morts et les maladies contagieuses, dresse des diagrammes sur les taux de mortalité de certains hôpitaux qu’elle avait visités pendant la guerre. Ce rapport détaillé dénonce la désorganisation de l’administration de santé : selon elle, tout va mal, tout doit être réformé. En effet, le taux de mortalité par maladie dans les hôpitaux militaires lors de la Guerre de Crimée aurait dépassé celui de la grande peste.
Ses travaux permettent l’instauration d’une école de médecine militaire ainsi que la révision des systèmes de soins dans l’armée.
Elle devient en 1858 la première femme à être élue membre de l’illustre Société Royale de Statistiques. Se basant sur son analyse de la médecine militaire, elle améliore la santé des personnes défavorisées. Elle se tourne vers la modernisation de l’hôpital public dont le principal problème lui semble venir de la qualité du personnel soignant.
Grâce à la mise en place du Nightingale Fund le 29 novembre 1855, elle a à sa disposition la somme de 45 000 livres.
Avec cet argent, elle et Elizabeth Wardrooper, fondent le 9 juillet 1860 la première école pour infirmières, la
Nightingale Training School, qui porte aujourd’hui le nom d’École d’infirmières et de sages-femme Florence Nightingale. Basée au St Thomas’ Hospital, son école porte l’attention sur l’empathie que doivent éprouver les infirmières, leur nutrition et leurs activités physiques qui sont imposées et font partie des cours. Elle révolutionne également la profession en la rendant laïque et accessible à toutes les classes sociales.
C’est la même année qu’elle publie “Notes on Nursing” un livre qui a non seulement guidé la première génération d’infirmières mais
aussi introduit les bases des soins infirmiers chez le grand public en devenant un classique de la littérature.
Cet ouvrage traverse l’Atlantique et, alors que les États-Unis sombrent dans la guerre à leur tour, l’armée de l’union d’Abraham Lincoln fait appel à son expertise. Ne se mêlant pas de politique, elle souhaite que les deux camps fassent usage de ses techniques et fait en sorte que chacun reçoive les documents nécessaires à l’organisation des soins. Les États-Unis prennent exemple sur ses principes de disposition des hôpitaux qu’elle explicite dans un autre ouvrage, “Notes on Hospitals” : selon sa configuration (celle de l’hôpital pavillonnaire), l’hôpital parfait est fait de différents blocs séparés les uns des autres et disposés sur un seul étage.
On sépare les malades selon leurs pathologies, d’un côté les blessures, d’un autre les maladies infectieuses. Florence incite également les deux camps à faire intervenir des femmes pour aider les médecins militaires. Comme lors de la guerre de Crimée, les officiers voient mal cette “intrusion” des femmes dans la médecine. Pourtant, elles sont nombreuses à venir en aide aux blessés et certaines deviennent infirmières par la suite.
Formée par les soins de Florence Nightingale, Linda Richards devient la première infirmière d’Amérique ayant reçu une véritable formation. Revenue au pays, elle fonde en 1873 la première école pour infirmières, reprenant bien sûr les principes de son mentor. Puis une deuxième naît à Boston. Les infirmières britanniques désormais réputées dans le monde entier sont appelées aux Etats-Unis pour venir former les nouvelles générations d’infirmières. En provenance de l’école St Thomas, des infirmières en chef deviennent alors directrices d’écoles américaines. Désormais, avant de devenir infirmières, les étudiantes doivent prêter le serment du “Nightingale Plage”, tout droit inspiré du serment d’Hippocrate qui engage de son côté les médecins.
Florence a toujours vent de l’influence qu’elle a eu sur les soins infirmiers dans le monde, mais depuis 1896, c’est
depuis sa chambre dont elle se dit prisonnière qu’elle répond aux centaines de questions qui lui sont destinées. Elle est atteinte de la brucellose depuis son retour de la guerre de Crimée – maladie aujourd’hui aussi anodine qu’un rhume – qui s’est aggravée en 1862, date à laquelle elle a frôlé la mort. Ce mal additionné au fait qu’elle ne cesse de travailler l’oblige à rester alitée, sans pouvoir sortir de sa chambre.
Le fondateur de la Croix-Rouge, Henry Dunant, demande lui-même conseil à Nightingale pour son association qu’il
dit s’inspirer des travaux de l’infirmière en Crimée. Cette dernière est sceptique ; elle s’inquiète de voir des volontaires bénévoles remplacer le travail des professionnels sur le terrain. Elle estime également qu’il est du devoir de l’armée de prendre soin de ses malades et blessés et qu’il s’agirait d’une erreur que de lui retirer cette charge. Cependant, la Croix-Rouge prend très vite de l’importance à travers le monde, dépassant de loin les frontières en s’installant jusqu’au Japon. Henry Dunant était un grand admirateur de La dame à la lampe ; le Comité International de son organisation créa en 1912 une médaille Florence Nightingale pour récompenser le dévouement et le courage des infirmières. Cette distinction est aujourd’hui encore la plus glorifiante pour les infirmières. Les lauréats et lauréates sont proclamé.es le 12 mai, journée internationale des Infirmières liée à la date de naissance de Florence Nightingale.
Alors que la France est en retard sur l’introduction des infirmières à l’hôpital, une certaine Anna Hamilton reprend
les principes de Nightingale et fonde une école actuellement dénommée “Florence Nightingale”. Située à Bordeaux, il s’agit encore aujourd’hui d’une école très réputée.
En 1883, Florence est décorée de la “Royal Red Cross” par la reine Victoria. Le fils de cette-dernière, Edouard VII, lui décerne l’Ordre du mérite en 1907.
Elle devient ainsi la première femme bénéficiaire de la plus haute distinction britannique avant de perdre la vie le 13
août 1910 à l’âge de 90 ans. Femme simple, elle avait refusé d’être incinérée à l’Abbaye de Westminster et préféré être enterrée auprès de ses proches. Elle aura créé la première profession pour les femmes dans le monde et rendu le métier d’infirmière laïc et professionnel. Fondatrice des soins infirmiers, féministe avant l’heure, pionnière de la présentation visuelle de l’information, Florence est sans conteste une figure remarquable du XIXème siècle.
A méditer : Florence Nightingale prouva que 90 % des patients des hôpitaux de Londres (avant 1860) trouvaient la mort contre seulement 60 % pour les malades ne se rendant pas à l’hôpital.
Guerin–Pavec Romain