Rosa Parks (1913-2005)
Emblème de la lutte contre la ségrégation raciale, Rosa Louise McCauley naît à Tuskegee dans l’état de l’Alabama (Etats-Unis) le 4
février 1913. Etat
du Sud, l’Alabama est très marqué par les années d’esclavagisme et la ségrégation s’y ressent très fortement. Les lois Jim Crow en vigueur rendent la vie infernale à la population afro-américaine : écoles réservées aux Blanc(he)s, bus scolaires réservés aux Blanc(he)s, wagons réservés aux Blanc(he)s, fontaines réservées aux Blanc(he)s, toilettes réservées aux Blanc(he)s, contacts entre Blanc(he)s et Noir(e)s interdits, mariages entre Blanc(he)s et Noir(e)s interdits…
Toute sa vie, Rosa garde en mémoire une empreinte indélébile de ce que le racisme lui a fait subir, notamment les nuits passées dans la maison familiale endormie toute habillée afin de pouvoir fuir en cas d’incendie déclenché par le Ku Klux Klan. Abrégé en KKK, cet organisme suprématiste blanc semble dénué de toute humanité : ses adhérents pratiquent toutes sortes d’horreurs sur les populations minoritaires, lynchages, sévices, humiliations, incendies, marquages au fer rouge, meurtres… Pas un seul instant les populations noires ne sont en sécurité dans les Etats du Sud, à tel point que le grand-père de la jeune fille monte la garde sous le porche de leur maison, un fusil à la main, de peur d’une attaque du KKK. Même l’école où elle se rend est incendiée à deux reprises par les “klansmen”. Les Noirs doivent tenter d’être invisibles aux yeux des Blancs, le moindre regard les mettant en péril de mort.
Quand on n’a pas de droits civiques, il n’est question que de survivre, d’exister au jour le jour.
Pourtant, les deux parents de Rosa bénéficient d’un emploi correct : sa mère est institutrice et son père charpentier.
Après que ses parents ont divorcé, la jeune fille grandit à Pine Level chez ses grands-parents, non loin de Montgomery : son père, comme nombre de personnes noires, est parti dans le Nord en espérant faire fortune ; rêve trop peu souvent réalisé.
Elle fréquente l’école publique jusqu’à ses 11 ans en plus de l’instruction dispensée par sa mère.
Elle se rend ensuite dans une école privée dédiée aux filles noires, la Montgomery Industrial School for Girls. Il faut à la jeune fille une forte volonté pour étudier car elle doit nettoyer deux salles de classe tous les jours afin de payer son école privée.
Elle entame à peine ses études à l’Alabama State Teachers College for Negroes, une faculté d’enseignants, qu’elle doit y mettre un terme : sa grand-mère et sa mère tombent successivement gravement malades, l’obligeant à rester à leur chevet. Rosa enchaîne donc les petits boulots par-ci par-là, se faisant tantôt couturière, tantôt aide-ménagère ou assistante infirmière. C’est la même année qu’elle commence à assister régulièrement aux réunions du parti communiste de son état sans pour autant y prendre sa place en tant que membre.
Deux ans plus tard, alors que la jeune femme a seulement 19 ans, elle célèbre ses fiançailles avec Raymond Parks,
barbier et lui-même militant pour les droits civiques. Il fait d’ailleurs partie de la National Association for the Advancement of Colored People (Association Nationale pour la Défense des Personnes de Couleur, NAACP) et encourage sa femme à poursuivre ses études supérieures : Rosa fera partie des quelques 7 % d’Afro-américain(e)s possédant un tel niveau d’études pour l’époque.
En se mariant avec Raymond, la jeune femme découvre le racisme sous toute sa splendeur. Son mari collecte effectivement des fonds pour 9 adolescents noirs accusés de viol : “l’affaire des Scottsboro Boys”. Peut-être cet évènement qui a retenti dans tout le pays a-t-il enflammé les convictions de la jeune épouse à se battre pour les droits civiques. Le couple intègre en 1940 une organisation, la Montgomery Voters League, qui a pour objectif d’aider les Afro-américains à réussir les tests leur permettant de s’inscrire sur les listes électorales.
Défendez quelque chose ou vous tomberez pour n’importe quoi. Le chêne puissant d’aujourd’hui est la noix d’hier qui a tenu bon.
Ce n’est qu’en 1943, alors que son mari quitte justement l’association, estimant qu’elle agit avec lâcheté et ne
s’impose pas suffisamment, que Rosa rejoint la NAACP, devenant secrétaire d’Edgar Nixon, le président de l’antenne locale. Ce n’est pas pour la réjouir ; si elle est élue à ce poste, cela n’a rien à voir avec une quelconque considération : elle se trouve être la seule femme de l’association et le rôle de secrétaire dans les têtes sexistes de ses adhérents est dédié aux femmes. Elle tient cependant son poste jusqu’en 1957.
La NAACP la charge, l’année suivante, d’aller enquêter sur une affaire de viol : la victime est une Afro-américaine violée par 7 hommes blancs. L’affaire fera la une des journaux, mais la justice américaine ne poursuivra jamais les coupables, elle s’excusera simplement en 2011 auprès de Recy Taylor, la victime.
Vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, Rosa est enrôlée par l’US Air Force sur une base militaire à Montgomery. Pendant cette
courte période, elle croit rêver en découvrant un monde sans ségrégation : la base aérienne appartient effectivement au gouvernement fédéral du pays, donc les lois ségrégationnistes en vigueur dans l’Alabama ne s’y appliquent pas. Pour la militante, c’est une révélation !
En 1954, la Cour Suprême américaine met fin à la ségrégation raciale dans l’école publique avec le but hypothétique de limiter les actes de violences envers la population afro-américaine. En pratique, cette décision ne fait qu’augmenter le nombre de violences portées contre les Afro-américain(e)s, du moins dans les Etats du Sud.
Heureusement, tout n’est pas si sombre pour la population noire : parmi ses différents postes, Rosa est femme de ménage chez des Blancs très concernés et même engagés dans le mouvement des droits civiques. Ceux-ci la poussent à participer à une formation sur les droits des travailleurs et l’égalité raciale organisée au Highlander Folk School.
La même année, en 1955, se déroule une nouvelle tragédie qui fait parler d’elle par-delà les frontières (car elle est relayée par une certaine Joséphine Baker) : le meurtre d’un adolescent de 14 ans. Sur les photos publiées par la presse, on peut voir l’enfant dépouillé de ses yeux et mutilé. Des actes comme celui-ci ne sont en fait pas rares à cette époque, notamment dans l’Etat du Mississippi où s’est déroulé le meurtre. Si l’histoire a soulevé tant de colère au sein du mouvement des droits civiques, c’est en raison de la manière dont s’est tenu le procès : bien que l’enfant ait été lynché, frappé et humilié avant d’être tué, le procès dure à peine plus d’une heure et le jury acquitte les deux coupables. Comme bien d’autres, Rosa est plus déterminée que jamais à défendre la cause des Noir(e)s après cet événement.
Cette accumulation de violences et l’expérience qu’a eue Rosa d’un monde non racialisé
ont certainement attisé sa colère et son courage. Ainsi, le 1er décembre 1955, alors qu’elle a 42 ans, Rosa Parks refuse de céder sa place de bus à un Blanc. Les lois Jim Crow réservent les places à l’avant des bus aux Blanc(he)s et celles du milieu doivent être cédées par les Noir(e)s si les places avant sont remplies. Malheureusement, ce jour-là, Rosa choisit mal son bus : elle se trouve avec un chauffeur qu’elle connaît bien car elle a déjà eu un antécédent avec lui. Ce soir-là, les places blanches sont intégralement remplies, et Rosa est assise sur un siège situé dans la partie médiane du bus. Lorsque la personne blanche s’approche, Rosa ne se lève pas, mais se décale simplement vers la fenêtre afin de laisser de l’espace au nouveau venu. Or, la loi interdit que deux personnes de couleurs différentes côtoient le même siège. Ce 1er décembre 1955, James F. Black reconnaît parfaitement à qui il a affaire et ne compte pas laisser passer un tel outrage. Il appelle le poste de police et Rosa est
arrêtée avant d’être mise en examen. Edgar Nixon, depuis devenu son ami, est mis au courant de son arrestation. Mais la prison refuse ses appels sous prétexte qu’il est un avocat noir. Il se tourne donc vers un des rares avocats blancs qui défende les droits civiques des Noir(e)s. Il s’agit de Clifford Durr, qui est aussi l’employeur de Rosa : grâce à ses services, elle est relâchée le lendemain.
On dit toujours que je n’ai pas cédé mon siège parce que j’étais fatiguée, mais ce n’est pas vrai. Je n’étais pas fatiguée physiquement, pas plus en tout cas qu’après une journée de travail habituelle. Je n’étais pas vieille […]. J’avais 42 ans. Non, je n’étais fatiguée que d’une chose : j’étais fatiguée de céder.
Suite à l’arrestation de Rosa Parks, de nombreux membres de la lutte pour les droits civiques se réunissent, fondent
la Montgomery Improvment Association et placent à sa tête un pasteur devenu célèbre par la suite : Martin Luther King. La nouvelle association coordonne ensuite le “Boycott des bus de Montgomery” le lundi 5 décembre : toute la communauté afro-américaine de la ville est informée, notamment grâce à l’aide de jeunes Blanc(he)s qui parviennent à faire imprimer 35 000 tracts dans le délit. Le mouvement de contestation dure en réalité 381 jours et laisse des centaines de bus à l’entrepôt. Il mène aussi à de nouvelles violences dans le pays : on tente à de nombreuses reprises de faire exploser les résidences de Nixon et Luther King et des bus sont fusillés. Le jour même du boycott, Rosa écope d’une amende de 10 dollars et le couple Parks est licencié de ses emplois respectifs. Il doit subir des injures continuelles par téléphone et Raymond sombre dans l’alcoolisme puis la dépression.
Nixon et Durr rencontrent diverses victimes des lois raciales dans les bus de la ville et portent les affaires jusqu’à la
Cour Suprême des Etats-Unis, souhaitant à tout prix éviter les tribunaux de l’Alabama.
Victoire ! Le 13 novembre 1956, les effets conjoints du boycott et des affaires raciales dans les bus mènent à
l’édification d’un arrêt statuant la ségrégation pratiquée dans les bus de l’Alabama comme “anticonstitutionnelle”. Une semaine plus tard, les autorités ordonnent au maire de Montgomery de mettre fin à la ségrégation dans les bus. Une avancée majeure dans la lutte pour l’égalité des hommes (oui, et pas encore des humains car il ne s’agit pas ici de la cause des femmes) même s’il faudra attendre 1964 pour que l’égalité des droits dans les lieux publics soit
généralisée nationalement.
Ainsi, Rosa devient l’icône du mouvement des droits civiques à Montgomery mais quitte cependant la ville pour aller vivre dans le Nord, d’abord à Hampton (Virginie) puis à Détroit (Michigan) où elle finira ses jours. Les 800 $ que le Boycott lui a rapportés lui permettent son installation, seule solution si elle souhaite continuer à vivre en sécurité. De plus, elle commençait à avoir quelques désaccords avec les meneurs noirs de l’Alabama. Elle débute la politique en 1965, rejoignant le parti démocrate du Michigan mené par John Conyers. Elle travaille pour le parti jusqu’en 1988. Cela lui est notamment permis par la promulgation du Voting Rights Act qui
met fin aux tests et taxes nécessaires pour devenir électeur. Les lois Jim Crow sont enfin abolies, mais un long chemin reste encore à parcourir.
Elle perd successivement son époux, son frère et sa mère entre 1977 et 1979.
Avec l’aide d’Elaine Eason Steele, elle fonde dix ans plus tard le Rosa and Raymond Parks Institute for Self-Development qu’elle nomme ainsi en hommage à Raymond. Cet institut organise notamment des visites en bus des lieux emblématiques de la lutte contre la ségrégation raciale et délivre des bourses aux jeunes Noir(e)s pour soutenir leurs études. Il a participé à la fin de l’apartheid en Afrique du Sud.
Si je restais en colère contre les autres, cela me manquerait de trouver des amis parmi ceux contre qui j’étais en colère.
Sa fin de vie est difficile : on l’hospitalise en août 1994 après qu’un jeune homme l’a agressée à l’aide d’une arme pour lui voler son
argent ; il ne vole que 53 dollars. Le bandit est arrêté et emprisonné pour 15 ans, peine que Rosa trouve bien trop lourde, elle qui aurait préféré qu’il répare son erreur. Atteinte d’une maladie neurodégénérative, elle décède le 24 octobre 2005 à l’âge de 92 ans. Le président George Bush lui rend hommage dans une allocution télévisée et l’on expose son cercueil dans la rotonde du Capitole pendant deux jours, privilège rare et pour la première fois accordé à une femme. Les places avant des bus de Montgomery sont interdites aux passagers jusqu’à son enterrement. Ses funérailles sont célébrées à l’église Greater Grace Temple de Détroit et ses cendres sont conservées au Woodlawn Cemetery. Des milliers de gens sur tout le territoire américain lui rendent hommage telle Aretha Franklin qui chante à l’occasion de sa mort. Récipiendaire en 1979 de la médaille Spingarn, plus haute distinction décernée par la NAACP, puis de la médaille d’or du Congrès (également la plus haute distinction décernée par le pouvoir législatif états-unien), Rosa Parks est mère du mouvement moderne des droits civiques.
Jesse Jackson, politique et militant pour les droits civiques :
Elle s’est assise pour que nous puissions nous lever. Paradoxalement, son emprisonnement ouvrit les portes de notre longue marche vers la liberté.
NB : D’aucuns disent que si Rosa Parks a refusé de se lever, c’est simplement par épuisement. Cependant, le 1er décembre 1955, elle n’était pas plus fatiguée qu’un autre jour : simplement, pour elle, c’était trop. On limite souvent l’engagement de Rosa Parks à ce simple événement : le refus de céder sa place. Mais elle était déjà militante de longue date et a fait de sa vie un combat. Derrière ses actions militantes, elle était loin de faire partie de classes privilégiées : toute sa vie durant, elle a manqué d’argent, allant parfois jusqu’à s’endetter et elle a souffert d’une santé fragile qui lui a causé un ulcère à l’estomac en 1960.
Romain Guerin–Pavec