Depuis l’invention de l’écriture il y a de cela 3 500 ans avant notre ère, notre façon de communiquer par l’écrit et d’utiliser notre alphabet a bien changé. Lorsque l’écriture fut inventée en Mésopotamie, elle se traduisait par des pictogrammes représentant schématiquement des objets, des lieux ou encore des idées. L’alphabet que nous connaissons aujourd’hui, c’est à dire celui qui représente un son pour une lettre est né en Phénicie (Mésopotamie) en l’an 1000 av J-C. Et aujourd’hui, nous préférons l’écriture sur support numérique, bien plus pratique dans la vie de tous les jours. Mais l’écriture a ses petits mystères. Plongez-vous dans cet article pour partir à leur découverte…
I. L’écriture manuscrite, bénéfique pour apprendre.
Nous préférons aujourd’hui travailler sur support numérique : moins fatiguant pour écrire et plus polyvalent, cet outil est notre ami de tous les jours.
Mais peut-être serait-il préférable de redonner de l’importance à cette technique qui se nomme l’écriture manuscrite. En effet, selon une étude de l’université de Sciences et de Technologie norvégienne, l’écriture manuscrite stimulerait davantage les régions pariétale et centrale du cerveau, deux zones impliquées dans la mémoire et le codage de nouvelles informations, que la frappe sur un clavier.
Pour faire bref, l’écriture manuscrite rendrait plus intelligent ! Ça vous fait revenir sur votre jugement ? Finalement, nos nouvelles technologies ne sont peut-être pas si optimales…
De quoi, à cette ère de grande révolution technologique, revenir un peu sur nos techniques “ancestrales” !
II. Notre alphabet serait-il trop court ?
Décidément, cette année 2020 nous porte la poisse (excusez-moi pour l’expression) ! En plus de la pandémie, il fallait que viennent s’ajouter à cela des ouragans et des tempêtes tropicales !
Bref, le fait est qu’en cette année 2020 (ce chiffre finira par devenir tabou si cela continue), pas moins de 25 tempêtes tropicales et ouragans se sont formés dans l’océan Atlantique. Ce nouveau record a épuisé la liste des noms de l’Organisation des Nations Unies, qui sont au nombre de 21 (les lettres Q, U, X, Y et Z étant exclues). L’O.N.U a donc été obligée de piocher dans l’alphabet grec jusqu’au nom Delta. Cela n’était pas arrivé depuis 1978 !
III. Le peul : la langue qui ne possèdait pas d’alphabet.
Âgés respectivement de 10 et 14 ans, deux frères, Ibrahima et Abdoulaye Barry, décidèrent d’inventer un alphabet pour leur langue maternelle : le peul (ou fulfulde). Parlée par des millions de gens depuis des siècles, cette langue n’avait jamais eu de système d’écriture. Pendant que leurs camarades jouaient dehors dans le quartier, Ibrahima, l’aîné, et Abdoulaye s’enfermaient dans la maison familiale de Nzérékoré, en Guinée, fermaient les yeux et dessinaient des formes sur du papier. Lorsque l’un des deux disait d’arrêter, ils ouvraient les yeux, choisissait les formes qui leur plaisaient et décidaient quels étaient les sons de leur langue qui iraient le mieux avec. En peu de temps, ils créèrent un système d’écriture désormais connu sous le nom d’ADLaM.
Les Peuls, également appelés Fellata ou Foulani, étaient à l’origine un peuple de pasteurs nomades qui se dispersèrent à travers l’Afrique de l’Ouest pour s’installer dans des pays allant du Soudan au Sénégal et le long de la côte de la mer Rouge. Selon des estimations, plus de 40 millions de personnes parleraient peul dans une vingtaine de pays africains. Mais le peuple peul n’a jamais élaboré de système d’écriture pour sa langue, utilisant plutôt les caractères arabes et parfois latins pour écrire sa langue maternelle, également appelé foulani, fulfulde ou pular. De nombreux sons peuls ne peuvent pas être représentés par ces alphabets. Les locuteurs devaient donc improviser à mesure qu’ils écrivaient, avec des résultats variés qui nuisaient souvent à la clarté des communications.
Le père des deux frères, Isshaga Barry, connaissait l’arabe, déchiffrait les lettres que les amis ou la famille recevaient et lui apportaient chez lui. Lorsqu’il était occupé ou fatigué, les jeunes Abdoulaye et Ibrahima venaient aider. Ces lettres étaient très difficiles à lire car les gens écrivaient des sons arabes qui se rapprochaient, mais ne copiaient jamais avec exactitude le son peul. C’est ainsi que l’idée de l’ADLaM est née dans l’esprit d’Abdoulaye, ayant constaté qu’il y avait un manque à palier.
Les deux frères élaborèrent un alphabet de 28 lettres et 10 chiffres écrits de droite à gauche, auxquels ils ajoutèrent ensuite six lettres pour d’autres langues africaines et des mots empruntés. Ils l’enseignèrent tout d’abord à leur jeune sœur, puis entreprirent de l’apprendre aux gens sur les marchés environnants, en demandant à chaque élève de l’enseigner au moins à trois autres personnes. Ils transcrivirent des livres et produisirent leurs propres ouvrages et brochures écrits à la main en ADLaM, en privilégiant des sujets pratiques tels que les soins aux nouveau-nés ou la filtration de l’eau.
Pendant leurs études à l’université de Conakry, capitale de la Guinée, les deux frères créèrent un groupe appelé Winden Jangen (« lire et écrire », en fulfulde) et continuèrent à développer l’ADLaM. Ibrahima écrivit d’autres livres et lança un journal, traduisant de français en fulfulde les actualités diffusées à la radio et à la télévision. Son père photocopiait les journaux et Ibrahima les distribuait aux Peuls.
Il s’avéra que les efforts des deux frères n’étaient pas du goût de tout le monde. Certains s’opposaient à leurs efforts pour diffuser l’ADLaM, défendant l’idée selon laquelle les Peuls devraient plutôt apprendre le français, l’anglais ou l’arabe. En 2002, des officiers de l’armée firent irruption dans une réunion de Winden Jangen, arrêtèrent Ibrahima et l’emprisonnèrent pendant trois mois. Selon Abdoulaye, aucune accusation ne lui fut signifiée et il ne fut jamais informé de la raison de son arrestation. Nullement découragé, Ibrahima continua à écrire des livres, tout en étudiant le génie civil et les mathématiques.
Pendant ce temps, l’ADLaM se diffusait au-delà de la Guinée, enseigné par une connaissance de la famille au Sénégal, en Gambie et au Sierra Leone.
Les frères comprirent également que pour exploiter pleinement le potentiel de l’ADLaM, il fallait le transposer sur ordinateur. Il se renseignèrent pour savoir comment faire encoder l’ADLaM en Unicode, la norme informatique internationale pour le texte, mais ne reçurent aucune réponse. Après avoir travaillé et économisé pendant près d’un an, ils réunirent suffisamment d’argent pour charger une entreprise de Seattle de créer un clavier et une police pour l’ADLaM. Comme leur alphabet n’était pas pris en charge par Unicode, ils le plaquèrent par-dessus l’alphabet arabe. Mais sans le codage, le texte qu’ils tapaient ne sortait que sous la forme de groupes aléatoires de lettres arabes.
Finalement, après bien des péripéties, les deux frères réussirent à obtenir de Microsoft qu’il inclut l’ADLaM dans son système d’exploitation. Microsoft travailla avec deux concepteurs de caractères, pour développer un composant ADLaM pour Windows et Office au sein de la police Ebrima existante de Microsoft, qui prend également en charge d’autres systèmes d’écriture africains. La prise en charge de l’ADLaM est comprise dans la mise à jour de mai 2019 de Windows 10. Elle permet aux utilisateurs de taper et de voir l’ADLaM dans Windows, notamment dans Word et d’autres applications Office.
Si l’aventure des deux frères vous intéresse, rendez-vous sur https://news.microsoft.com/fr-fr/2019/07/31/adlam/
Romain G.P., 5è2
Un bel article, très bien rédigé et documenté!