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#2 Ces femmes qui marquent leur temps : la traductrice de Newton
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Émilie du Châtelet (1706-1749)

Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil,
portrait de Maurice-Quentin de La Tour

Considérée comme l’une des premières physiciennes et mathématiciennes françaises, Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil naît le 17 décembre 1706 à Paris. 

Elle voit le jour dans une famille aisée qui l’ouvre d’esprit, lui fournissant une éducation complète : privilège rare pour une femme, elle est éduquée par des précepteurs et se révèle douée pour les études. En fait, la jeune fille excelle dans tout : mathématiques, latin, grec, anglais, allemand, danse, musique, théâtre, équitation et gymnastique, pas une seule discipline ne l’effraie. Pour autant, celle-ci montre vite une préférence pour les matières scientifiques.  

Dans la maison familiale, elle rencontre Jean-Baptiste Rousseau et Fontenelle qui lui dispense des cours de sciences.  

Mais la jeune femme apprécie également la vie mondaine et, lorsqu’elle est présentée à la cour de Philippe d’Orléans, elle prend vite plaisir à collectionner robes et mocassins et à s’accoutrer de multiples parures. Mais là n’est pas le seul objectif de la jeune femme : elle sait bien qu’elle n’a d’autre choix que de se marier. Elle met alors en place un petit stratagème bien à elle dont le but est de trouver l’homme respectable qui lui laissera le plus de liberté. Pour cela, elle fréquente et s’intègre à un maximum de cercles de la noblesse possible afin d’avoir un large panel de choix. Ensuite, elle n’hésite surtout pas à montrer ses larges connaissances de façon à éloigner les individus superficiels. Elle use de ses connaissances en mathématiques pour calculer ses parties de cartes et les remporter systématiquement, ce qui lui attire beaucoup d’admiration de ces messieurs et puis, une certaine somme d’argent. Loin d’avoir froid aux yeux, elle provoque même en duel un garde versaillais : le combat se solde d’un score nul, ce qui est tout de même impressionnant pour une jeune femme qui n’a à priori aucune connaissance du maniement de l’épée et qui affronte un homme normalement très bien formé puisqu’il est chargé de la protection du régent. Bref, ses multiples techniques réduisent considérablement son nombre de prétendants et elle finit par en présenter une petite liste à son père.

Portrait réalisé par Marianne Loir en 1748 et conservé au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux

Le 20 juin 1725, à seulement 19 ans, elle est mariée au marquis Florent Claude du Châtelet, de dix ans son aîné. Les deux époux se respectent mais se côtoient très peu, le marquis occupé par sa carrière militaire. Ce-dernier laisse une grande liberté à sa femme qui lui donnera quatre enfants et finance également ses apprentissages.

En 1730, elle rencontre Louis-François-Armand de Vignerot du Plessis, maréchal et membre de l’Académie française avec qui elle entretient une forte liaison amoureuse. Celui-ci lui recommande de prendre des tuteurs afin de compléter ses connaissances plutôt que de se contenter de ses lectures quoique très poussées. Leur relation ne dure qu’un ans, mais ils continuent de correspondre toute leur vie sur divers sujets de réflexion.

Les activités mondaines l’amusent un temps, mais les discussions sans intérêt finissent par fatiguer son esprit instruit. Elle se décide à apprendre mieux encore les mathématiques sous la tutelle de Pierre-Louis Moreau de Maupertuis, un mathématicien réputé de l’époque, membre de l’académie des Sciences. Ses cours lui permettent de s’ouvrir à de nouveaux ouvrages de mathématiques majeurs : elle lit notamment pour la première fois les Philosophiae naturalis principia mathematica d’Isaac Newton. En lisant cet ouvrage, elle est transcendée : son rêve eût été de rencontrer son auteur, mais trop tard, celui-ci n’est déjà plus de ce monde.

Les cafés ainsi que les études sont interdits aux femmes, mais rien ne résiste à Emilie : afin de pénétrer le café Gradot où se rencontrent nombre de lumières de l’époque avec qui elle se lie d’amitié, quoi de plus simple que de se déguiser en homme ? Après avoir été reconnue par Maupertuis, elle est finalement acceptée et y retourne régulièrement, mais toujours vêtue sous des atours masculins… Il ne faudrait tout de même pas que cela se sache !

Emilie du Châtelet quitte la demeure conjugale de Semur-en-Auxois en 1732 pour rejoindre Paris.

En 1733, Emilie fait la rencontre de Voltaire chez une de ses amies. Touche-à-tout, Voltaire n’hésite pas à troquer poésie contre mathématiques afin de séduire Madame du Châtelet. Voltaire, peu connu pour sa modestie, encourage ses travaux et va même jusqu’à déclarer qu’elle est bien plus brillante que lui. Il assure qu’elle est “l’astre et lui le satellite” : les connaissances d’Émilie permettent à celui-ci d’écrire en économie, physique, histoire et chimie. Impressionné par le savoir d’Emilie, Voltaire la persuade de traduire l’ouvrage de Newton afin qu’il soit diffusé plus largement : Voltaire avait compris l’importance de cet écrit bien avant son heure. Débute alors un travail d’une envergure démesurée : la marquise ne compte pas faire les choses n’importe comment et elle se rapproche de nombreux mathématiciens tels Leibniz, Euler ou Buffon afin d’obtenir une traduction très fine.

L’année suivant leur rencontre, Voltaire doit son salut à son amante chez qui il se réfugie dans sa demeure de Cirey après avoir reçu une seconde lettre de cachet qui menace de l’expulser à la Bastille. Malgré un amour passionné, la maison lorraine résonne souvent des confrontations entre ces deux forts caractères. D’ailleurs, les amants adorent se donner en spectacle, ne se gênant pas pour se disputer lors des soirées mondaines ! Ils le font cependant en anglais de sorte à ne point choquer l’auditoire… Le château devient vite une ruche bourdonnante où se rend toute l’élite intellectuelle des Lumières : les amants font jouer des pièces et convient des savants étrangers à leurs soirées afin que les courants de pensée se mélangent.

De manière anonyme, Émilie participe au concours lancé par l’Académie royale des Sciences en 1737  : le thème en

Essai d’Emilie du Châtelet, “Dissertation sur la nature et la propagation du feu”

est la nature du feu et sa propagation. Elle rédige un essai de son côté, nommé Dissertation sur la nature et la propagation du feu car elle se trouve en désaccord avec l’hypothèse de son amant, Voltaire, qui pense que le feu est une matière solide possédant un poids. Elle rédige donc ses feuillets en cachette, la nuit, pour ne pas être découverte par Voltaire. Il n’empêche que c’est ce dernier qui dépose son travail car aucune femme n’est autorisée à participer au concours. Aucun des deux érudits ne remporte le concours, mais les 139 pages de dissertation d’Émilie sont cependant publiées car jugées fort remarquables : l’ouvrage d’Emilie est le premier réalisé par une femme à être publié par l’Académie.

La mathématicienne publie Institutions de physique en 1741, ouvrage dans lequel elle confronte les visions de différents mathématiciens afin de définir les bases de la physique. Elle parvient notamment à y démontrer expérimentalement les travaux de Leibniz sur l’énergie cinétique, et notamment sa

Institutions de physique, édition de 1741

formule (EC = 0,5 x mv2) en faisant chuter une bille de plomb sur de l’argile molle, à diverses hauteurs. La création de cet ouvrage vient de son idée originelle de faire un manuel pour son fils afin de synthétiser les idées de Newton et Leibniz sur la physique et la métaphysique : un projet ambitieux qui n’a toujours pas abouti aujourd’hui. Elle appuie sur l’importance de la recherche empirique, c’est-à-dire celle qui se base sur l’expérimentation.

L’expérience est le bâton que la nature a donné à nous autres aveugles pour nous conduire dans nos recherches.

Gravure de Duburg représentant Gabrielle Émilie du Châtelet dans l’ouvrage de Voltaire “Éléments de la philosophie de Newton”, 1738

Château de Cirey (Lorraine, Haute-Marne) dans lequel Émilie effectue ses expérimentations sur l’énergie cinétique – lithographie de 1854

Cependant, la publication de son livre crée des tensions entre elle et Descartes : une querelle oppose déjà le scientifique à Leibniz sur la théorie des forces vives. Or, dans son ouvrage, Emilie prend partie pour la théorie de Leibniz. Elle va même plus loin en mettant en doute certaines des affirmations de Newton. Dans l’histoire, c’est Emilie qui a raison. Elle choisit de créer une édition augmentée de son ouvrage afin de se défaire des remarques acerbes qui lui sont adressées.

Les capacités intellectuelles d’Émilie lui permettent d’intégrer l’Académie des sciences de l’institut de Bologne (Italie) en 1746, la seule d’Europe ouverte aux femmes à l’époque.

En 1748, la marquise du Châtelet succombe au charme du militaire (encore) Jean-François de Saint-Lambert. Elle rencontre ce dernier à

Edition française de 1759 du premier tome de la traduction des Principes mathématiques de la philosophie naturelle par Emilie du Châtelet

Lunéville, à la cour du Duc de Lorraine, Stanislas Leszczynski. Alors âgée de 42 ans, elle en tombe enceinte. Elle subit des complications au cours de sa grossesse : sentant la fin approcher et fatiguée par la grossesse, elle s’empresse d’achever sa traduction des Philosophiae naturalis principia mathematica d’Isaac Newton. Elle décède avec sa fille le 9 septembre 1749, six jours après l’accouchement. Le marquis du Châtelet, Monsieur de Saint-Lambert et Voltaire restent au chevet d’Émilie pendant sa lente agonie : le philosophe est terrassé par la mort de la mathématicienne et déclare

J’ai perdu un ami de vingt-cinq années, un grand homme qui n’avait de défaut que d’être femme, et que tout Paris regrette et honore. On ne lui a pas peut-être rendu justice pendant sa vie.

Avant sa mort, Émilie a tout juste le temps d’envoyer son manuscrit à la bibliothèque du roi. Son ouvrage sera publié par les soins de Voltaire en 1759, dix ans après sa mort. De cette façon, l’œuvre corrigée de Madame du Châtelet est, encore aujourd’hui, un document de référence.

Cette œuvre qui lui a pris quatre ans de travail acharné est extraordinaire : l’ouvrage de

Doodle célébrant le 315ème anniversaire de la naissance d’Émilie Du Châtelet

Newton, écrit en latin à l’origine, utilise un langage mathématique complexe et bien peu connu à l’époque. En plus de l’avoir traduit, Émilie l’a annoté, commentant les principes explicités dans le livre pour qu’ils soient plus clairs et afin de corriger les erreurs présentes : elle a vérifié pour cela chacun des calculs. Clairaut l’a aidée dans ce travail, supervisant la traduction.

Tout cela montre bien à quel point Émilie du Châtelet était surdouée en plus d’être surmenée : elle dormait à peine 4h00 par nuit. A terme, Émilie aura fait faire un bond de géant à la recherche scientifique et revendiqué l’éducation scientifique des femmes.

Émilie du Châtelet est inhumée dans l’église paroissiale Saint-Jacques de Lunéville.

 

Guerin–Pavec Romain, 3è4

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