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#5 Ces femmes qui marquent leur temps : Frida Kahlo, peintre de la douleur
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Frida Kahlo (1907-1954)

Frida Kahlo en 1932, photographiée par Guillermo Kahlo (son père)

Le 6 juillet 1907, dans la banlieue de Mexico à Coyoacán, naît Magdalena Frida Carmen Kahlo Calderón. En Occident, on simplifie ce nom en disant simplement Kahlo car généralement c’est le nom du père qui est gardé et donné à l’enfant. Cependant, dans la culture hispanophone, les noms du père et de la mère sont tous deux attribués aux descendants, ce pourquoi Frida possède un nom composé.  

Ses parents, un émigré allemand nommé Guillermo Kahlo et une mexicaine nommée Cristina lui donnent naissance dans une maison construite par Guillermo lui-même et que l’on surnomme “(la) casa azul” du fait de sa couleur (la maison bleue en espagnol). Aujourd’hui, la maison a été transformée en musée dédié à l’artiste. 

Âgée de 6 ans, Frida est atteinte par la poliomyélite, maladie qui la contraint à rester alitée durant 9 mois et la pourchassera tout au long de sa vie. Son pied droit ne grandit plus et sa jambe s’atrophie, ce qui lui vaut de nombreuses railleries à l’école au point d’être surnommée “Frida jambe de bois” (“Frida pata de palo” en espagnol).  

La jeune Frida a 15 ans lorsqu’elle intègre le lycée le plus réputé du Mexique, la Escuela Nacional Preparatoria : elle fait partie des 35 premières filles intégrant l’école sur près de 2 000 étudiants. A cet âge, elle s’intéresse particulièrement aux sciences naturelles et projette de devenir médecin. Les beaux-arts sont alors pour elle une passion qui lui a été transmise par son père, photographe et peintre à l’aquarelle. 

Le 17 septembre 1925, alors âgée de 18 ans, elle est victime d’un grave accident : le bus dans lequel elle se trouve sort de la route et percute un tramway. Frida,

“Frida Kahlo en costume traditionnel”, photographie de Bernhard G. Silbertstein en 1942
Toute sa vie, l’artiste nationaliste défend avec ferveur les traditions ancestrales de son pays

contrairement à la majorité des autres passagers, manque la mort mais au prix de perdre son corps. Projetée en avant, elle est transpercé par une barre du véhicule, ce qui lui vaut une multitude de fractures sur la colonne vertébrale, les côtes, le bassin, le col du fémur et la jambe droite. Son pied droit termine écrasé et sa cavité pelvienne transpercée, cause de sa stérilité. Elle séjourne un mois à l’hôpital et reste alitée encore deux mois après sa sortie. C’est suite à cette tragédie qu’elle commence à peindre, plaçant un miroir au plafond et un chevalet sur son lit afin de réaliser son autoportrait. Elle fait ce choix de modèle car elle passe la majorité de son temps seule et qu’elle considère être le sujet qu’elle connaît le mieux. Elle déclare :

« Je ne suis pas morte et j’ai une raison de vivre. Cette raison, c’est la peinture ».

Mais l’année suivant son hospitalisation, elle est de nouveau opérée : les médecins viennent en effet de constater la fracture d’une de ses vertèbres lombaires. Elle est contrainte de porter un corset en plâtre pendant neuf mois. 

La jeune femme, très engagée dans la lutte contre les inégalités sociales, rejoint le parti communiste en 1928. La même année, elle rencontre Diego Rivera dans l’auditorium de son école où il réalise une fresque : au pied de son échafaud, elle l’interpelle alors avec aplomb ayant la volonté d’obtenir son avis sur ses œuvres. A cette époque, Rivera est déjà célèbre et Frida apprécie beaucoup sa peinture ; admiration qui devient vite réciproque.  

Frida n’a que 22 ans lorsque Diego et elle se marient l’année suivante. Cependant, tout les oppose : d’un côté on trouve l’époux ventripotent et de haute stature puis

Frida et Diego

de l’autre la petite Frida toute fluette, de 20 ans sa cadette. Les parents de la jeune femme ne les surnomment pas pour rien “la Colombe et l’éléphant”. Leur relation a beau être passionnée, le couple se trompe mutuellement : Rivera a toujours aimé les femmes et enchaîne les adultères. Frida se révèle bisexuelle et surenchérit par les mêmes actes, devenant notamment la maîtresse de Trotski qu’elle rencontre en 1937 et qui séjourne chez elle grâce à l’asile politique que lui a accordé le président du Mexique, Lázaro Cárdenas del Río. Mais elle cesse bien vite les adultères, se rendant compte que ce n’est pas ce qui la conforte. Cependant, en 1935, c’est la cerise sur le gâteau : Frida découvre que Diego entretient une liaison avec sa jeune sœur, Cristina. Elle sombre alors dans la boisson pour noyer son malheur et s’enfuit à New-York avec deux amies. Elle rentre au Mexique une fois la relation entre Diego et Cristina terminée mais divorce en 1939 avant d’épouser de nouveau Diego Rivera l’année suivante sous gage de sa fidélité. 

Le couple quitte le Mexique en 1930 pour emménager à San Francisco car Diego Rivera est chargé de réaliser des fresques pour

“Autoportrait à la frontière du Mexique et des États-Unis”, 1932
Ce tableau traduit la préférence de l’artiste pour sa terre natale mais aussi son admiration vis-à-vis du développement industriel des États-Unis. L’œuvre montre que Frida a conscience que, malgré sa volonté d’indépendance économique et culturelle de son pays, le Mexique ne peut vivre sans son grand voisin. 

l’actuel San Francisco Art Institute ainsi que pour la ville de Detroit. L’année de leur arrivée au pays de l’oncle Sam signe la première fausse couche de Frida. Malgré les prescriptions des médecins qui lui affirment qu’elle ne pourra avoir d’enfant en raison des fractures de son bassin, elle fait une deuxième fausse couche en 1932 : s’étant tournée vers un autre médecin du Henry Ford Hospital après être tombée à nouveau enceinte, elle avait cru à ses promesses de pouvoir accoucher par césarienne. Peu après, lors de la même année, Frida doit faire le deuil de sa mère en plus de celui de son enfant. L’artiste vit mal son expatriement, les États-Unis la dégoûtent et son fort ressentiment se traduit dans ses peintures tandis que son mari s’extasie toujours plus de ce pays. Tant dévouée pour la cause des plus démunis, elle est prise horrifiée par la misère que produit le système américain, pourtant si riche et développé.

“C’est effrayant de voir ces riches qui donnent des surprises-parties jour et nuit pendant que des milliers de gens meurent de faim…”.

A partir des années 30, alors que de l’autre côté de l’Atlantique se perçoit la rumeur d’une guerre qui se prépare, l’artiste change la signature de ses tableaux pour Frieda car son nom ressemble alors davantage à “Frieden” signifiant paix en allemand.

C’est avec soulagement que l’artiste rentre au Mexique en 1933.

Elle rencontre André Breton qui effectue un voyage au Mexique en 1938 et, bien qu’elle ne puisse le supporter, elle devient l’amie de cœur de sa femme. Elle voyage à

“Mes grands-parents, mes parents et moi”, 1936
Ce tableau traduit l’attachement de l’artiste à ses origines

Paris l’année suivante à l’occasion d’une importante exposition tournée sur le Mexique et justement organisée par André Breton : Frida y fait la rencontre de Picasso qui lui offre des boucles d’oreille en forme de main, Kandinsky et Tanguy. Hormis ces belles rencontres, ce voyage est loin d’être une réussite pour l’artiste : elle ne supporte ni la ville qu’elle trouve sale, ni la nourriture qui lui est servie et qui la rend malade, ni les “foutus intellectuels pourris” dont elle fait la connaissance et “[qui sont] la cause de tous les Hitler et les Mussolini”, ni l’exposition qui regroupe les tableaux des “fils de putes lunatiques que sont les surréalistes”. Pourtant, les peintres la classent elle-même chez les surréalistes, mais elle trouve cela injuste car elle assure “peindre sa réalité”. En ces propos, Frida est très claire, à l’image de sa pensée. Seule son amie et amour Jacqueline Lamba, épouse de Monsieur Breton, parvient à lui remonter le moral.

En 1940, elle est contrainte de se rendre à San Francisco pour se faire soigner car sa colonne vertébrale lui est atrocement douloureuse et elle développe une mycose aiguë à la main droite. 

En 1942, elle est élue membre du Seminario de Cultura Mexicana, une organisation créée par le ministre des Affaires culturelles et composée de vingt-cinq artistes et intellectuels. Sa mission est d’encourager la diffusion de la culture mexicaine en organisant des expositions, des conférences et la publication d’ouvrages. L’année suivante, elle dispense des cours aux Beaux-Arts, mais ses élèves doivent se rendre chez elle pour entendre ses cours car elle commence à marcher difficilement.

“La colonne brisée”, 1944
L’artiste réalise cette peinture alors qu’elle est contrainte de porter un corset de fer en 1943

Elle produit plus de 143 toiles tout au long de sa vie, malgré ses nombreuses infirmités. Dans ses œuvres principalement composées d’autoportraits, elle traite de sujets tels que la sexualité, l’avortement ou encore la fécondité, jamais abordés auparavant et considérés tabous à son époque et toujours un peu aujourd’hui.

Cependant, elle ne se contente pas de peindre, elle décore les oreillers, ses corsets, des tenues et crée toutes sortes d’objets.

De son vivant, elle est déjà célèbre pour son style mais aussi pour défendre l’émancipation des femmes, qu’elle considère être «[une] masse silencieuse et soumise». Ses œuvres sont encore une fois l’expression de son engagement : elle se peint en costume masculin, n’efface pas de ses tableaux sa légère moustache et accentue son mono-sourcil. Car Frida n’a pas peur d’assumer sa bisexualité ni sa liberté de femme et peu importe son apparence et ses infirmités qui n’entrent pas dans les codes.

Mais lorsque l’on souffre jour et nuit de la colère de son entourage, mais surtout des douleurs de son corps, difficile de ne pas sombrer dans la boisson. Son état de santé ne faisant qu’empirer, elle est contrainte de se rendre à l’hôpital ABC de Mexico où elle séjourne 9 mois et subit 7 opérations successives. En 1953, les médecins se voient contraints de lui amputer la jambe pour que sa gangrène ne se propage pas davantage. Elle retient difficilement ses envies de suicide après cette opération.

L’artiste peut enfin repeindre après sa 6ème opération
photographie de Juan Guzmán, 1952

Sur son tout dernier tableau peint sur son lit de mort, elle inscrit en capitales et à l’aide de la couleur rouge sang “¡ VIVA LA VIDA !” (Vive la vie !). Elle décède finalement d’une pneumonie le 13 juillet 1954, ayant à peine fêté son 47ème anniversaire. Elle choisit d’être incinérée, refusant de rester couchée dans un cercueil après avoir vécu la moitié d’une vie dans son lit. Diego vivra encore trois ans après elle avant d’être emporté par le cancer.  

Son œuvre engagée restera à jamais dans l’histoire, et son histoire, inscrite à jamais dans son œuvre. 

 

Guerin–Pavec Romain

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